Le tour d’abandon, un blanc-seing pour la mort

L'enfant du tour d'abandon

Ah, ce satané tour d’abandon qui donne, en partie, le titre à mon quatrième roman! Un cylindre de bois installé dans le mur d’un hospice et tournant sur un axe, dans lequel on pouvait déposer, anonymement, un enfant, avant de sonner la cloche pour qu’une sœur hospitalière le tourne pour récupérer le nourrisson. Mais pas seulement puisqu’on pouvait y déposer des enfants morts (évitant ainsi de payer le casuel pour la messe d’enterrement et l’ensevelissement dans le carré des pauvres ou indigents), ou dont on souhaitait se débarrasser pour avoir une bouche de moins à nourrir.

On en trouve des traces dans l’Europe du Moyen Âge, mais essentiellement en Italie, le pape Innocent III ayant, en 1198, mis en place un dispositif similaire appelé la roue, afin que la mère dépose son nouveau-né à la porte d’un Hospice plutôt que de le jeter nuitamment dans le Tibre. Mais c’est le décret impérial du 19 janvier 1811 qui en introduit l’obligation dans chaque chef-lieu d’arrondissement en France (il y en aura 269). Le principe est alors louable. Il s’agit de lutter contre les infanticides volontaires ou non (le simple fait de déposer un nourrisson sur le parvis d’une église ou sous un porche suffisant souvent à en garantir le décès), en offrant un moyen anonyme de confier à l’institution les nouveaux-nés dont on ne voulait pas. Le résultat a, malheureusement, rendu l’abandon plus facile et conduit à la mise en place de véritables trafics, avec meneurs rémunérés, chargés par des bourgeois ou nobliaux d’éloigner au plus loin des enfants non désirés, adultérins, incestueux ou victimes d’un viol. Plusieurs centaines de milliers de bambins ont ainsi été livrés au tour, le record d’enfants pris en charge étant de 127.500 en 1833 contre un peu plus de 92.000 en 1817. Un chiffre qui variait parfois très nettement suivant les départements. Ainsi, Toulouse avait-il le triste privilège de dépasser Paris en la matière. Ainsi Embrun était-il un choix privilégié par les meneurs du sud de la France et de ses départements limitrophes, sa petite taille et son isolement rendant le dépôt du nouveau-né bien plus sûr qu’à Marseille, Nice ou Toulon.

Cette augmentation, tout entière absorbée par la Nation, masque un phénomène qui lui est pourtant associé : le taux de mortalité car, faute de moyens, l’institution ne parvient ni à fournir suffisamment de nourrices, ni assez de familles d’accueil, encore moins de nourriture au sein même des établissements. On estime ainsi que plus de 50 % des enfants abandonnés mourraient dans l’année suivant leur prise en charge et qu’une dizaine à peine atteignait l’âge de dix ans. 

Face à cette situation et au manque d’argent, 183 tours auront déjà fermé en 1839 et il n’en restera que cinq en 1860 (Brest, Évreux, Marseille, Roue et Paris), avant leur suppression définitive en juin 1904. 


Pour prolonger la lecture

La misère et la faute, abandon d’enfants et mères abandonneuses à Paris (1876-1923), Antoine Rivière
Être orphelin au XVIIIe siècle, vie familiale et pérégrinations à partir de quelques récits de vie, Isabelle Robin-Romero, Université Paris-Sorbonne, UMR 8596 
Histoire administrative de l’œuvre des enfants trouvés de Lyon, E. Fayard, ed. Guillaumin et cie, août 1859
Des corps à protéger : nourrir les enfants trouvés des Basses-Alpes au cours du XIXe siècle, Isabelle Grenut, Revue d'histoire de la protection sociale, n° 4, décembre 2011
L’enfant abandonné et sa famille d'origine : quel lien après la séparation ? Isabelle Grenut, Revue d'histoire de l'enfance "irrégulière", N°19, 2017

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