Newgate, la Bastille anglaise
Au moment où Madelaine entre dans la prison de Newgate (Newgate Gaol, en anglais dans le texte), il s’y trouve près de 900 criminels en tous genres et 325 débiteurs (dont 40 femmes). Le tout pour une capacité limitée à… 490 personnes ! On s’y entasse dans des salles hautes de 11 pieds (3,35 m environ), meublées de lits en fer ou en bois, de sommiers à lattes parfois, en bois lisse la plupart du temps, de nattes roulées sur le côté dans la journée, de vagues couvertures pour les plus malchanceux. Le mobilier est aussi chiche que rustique, généralement une grande table en bois et des bancs. Il n’y a pas de geôle à proprement parler et les portes restent ouvertes la journée, surveillées par des gardes-chiourmes, en fait des prisonniers transformés en matons qui ont le privilège de disposer d’un bat-flanc. Seuls les quartiers sont isolés les uns des autres, celui des hommes de celui des femmes, et ces deux-là des débiteurs. On ne s’y mélange plus comme par le passé…
Les mères y sont internées avec leurs enfants
Dans le quartier des femmes, il y a ainsi dix-sept salles, plus un grenier qui est réservé à l’infirmerie et deux cours réunies en une seule, se rejoignant à angle droit. C’est le domaine de la débrouille, avec ses règles. Celles imposées par l’administration, mais aussi et surtout celles qui régissent la vie de ces mini communautés. Les gangs y sont tout aussi nombreux qu’à l’extérieur et, avec la complicité des gardiens, on peut faire passer aussi bien du tabac que de la nourriture, de l’alcool ou des drogues. Les mères y sont souvent accompagnées de leurs enfants, ce qui ajoute à la promiscuité et au surpeuplement.
Comme Madelaine le découvre, les prisonniers doivent payer leur séjour, mais également la nourriture, les couvertures, le charbon pour alimenter le poêle quand il y en a… Elizabeth Fry, qui s’est rendue dans la prison en 1813, a tellement été choquée des conditions dans lesquelles vivaient alors les femmes qu’elle a fondé l’Association pour la réforme des femmes détenues à Newgate, publiant ensuite un rapport accablant qui mettra du temps à initier des changements. Bien trop pour que Madelaine en mesure concrètement tous les effets, même si elle découvrira, dans chacun des appartements, le progrès le plus précieux en matière d’hygiène : les toilettes reliées à un tout-à-l’égout curé une fois la semaine.
Sur les pas d’Elizabeth Fry et de Charles Dickens
Les descriptions faites par Elizabeth Fry, mais également par Charles Dickens, m’ont énormément servi pour dépeindre les lieux et les conditions de vie des prisonnières. Tout gamin, l’auteur de David Copperfield ou de La petite Dorrit a fréquenté assez régulièrement le lieu, son père y ayant été emprisonné en 1824, le temps de payer une dette de 40 livres et 10 shillings. Il en a alors été si marqué qu’il mettra des années avant d’oser y remettre les pieds. Son témoignage est d’autant plus intéressant qu’il est rédigé quelques années à peine avant l’arrivée de Madelaine dans ce lieu de perdition, et qu’il vient teinter d’humanisme un enfer dont il était bien rare que l’on en sorte intact. Les rapports que j’ai pu lire n’ont pas cette dimension romanesque qui se devine entre les lignes et m’ont conduit à imaginer des scènes dont j’aime à penser qu’elles auraient pu se dérouler tel que je les présente. Et notamment celle qui se déroule dans la geôle prévue pour les condamnés à mort et dans laquelle a été enfermée Mary Claypole, la veille de sa pendaison, celle-ci ayant lieu juste au-dehors de la prison, ce qui a son importance, comme vous le lirez.
Rendre beau ce qui n’est pas vrai
Pour autant, je me suis permis des libertés avec la réalité car, comme le disait Maupassant, « faire vrai consiste […] à donner l’illusion complète du vrai […] et non à transcrire servilement [la logique ordinaire des faits] dans le pêle-mêle de leur succession ». Ce que George Sand traduit d’une manière un peu plus élégante en revendiquant le « privilège du véritable artiste de rendre vrai l’idéal quand bon lui semble, comme de rendre beau ce qui n’est pas vrai ». Vous ne vous étonnerez donc pas si la rédemption semble vouloir rattraper quelques-unes de ces pauvres femmes, alors même que des créatures parmi les plus infernales les entourent. Je reste persuadé qu’il reste toujours un fond de bon en toute personne, même la plus cruelle. Y compris dans cette Bastille anglaise, comme l’ont surnommée quelques historiens (lire notamment The English Bastille, d’Anthony Babington paru en 1971 chez Macdonald and Co), dont la sulfureuse réputation a fini par pousser à la fermeture en 1904.
À lire également
— La visite de Newgate Gaol en 1836, par Charles Dickens, in Esquisses de Boz.
— L’histoire de la prison de Newgate, in Newcastle Gaol.
— Elizabeth Fry, the angel of the prisons, livre de Laura E. Richards, publié par D. Appleton and Company en 1916. Fichier pdf à télécharger.



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