Aux origines de Madelaine

 

L'enfant du tour d'abandon

Comment naît un roman, et plus encore une trilogie? Voilà bien un processus dont il est difficile d’en comprendre les ressorts. C’est même, parfois, un fil si ténu qu’il est presque impossible de le dérouler sans le rompre. Pour mon nouvel opus, j’avais ainsi un titre, Le silence de la plume, et un début de canevas que je pensais prometteur : «Un vieux baroudeur, dont on suppose qu’il va bientôt mourir, entreprend un ultime voyage à bord de son vieux Land Rover avec lequel il a déjà sillonné toute la planète. Mais, cette fois, il ne va pas aussi loin. Il a réservé une chambre dans une pension de famille qui se veut aussi auberge, au cœur du Périgord. Un choix dû au hasard, le jet d’une fléchette sur une carte. Très vite, il s’aperçoit qu’y vit un bien étrange personnage, attablé toute la journée au fond de la salle de restaurant, à écrire, écrire, écrire. Ne s’arrêtant que pour manger sur le pouce, et interdisant à quiconque de lui adresser la parole. On l’appelle l’écrivain, mais que couche-t-il ainsi sur le papier? Le lieu est également atypique. Quelques chambres à thèmes. Lui se retrouve ainsi à Solitaire, en Namibie, ce qui réveille des souvenirs. Comment l’aubergiste a-t-il deviné que c’est ce lieu et aucun autre qui l’a marqué au fer rouge? Et puis, il y a cette vieille femme, dans l’église du village, et une feuille de papier qu’elle a laissée sur le banc. Avec ces mots, “Je sais ce que tu as fait”. Et puis, et puis…» Et plus rien. Le fil s’est cassé, me laissant désemparé. Pour la première fois, je me retrouvais devant un vide abyssal, à ne plus avoir envie. Voilà, c’était le mot. L’envie s’en était allée.

Je ne suis pas du genre à insister. Quand ça ne veut pas, je passe à autre chose. À cette époque, je travaillais à un des nombreux ouvrages que je consacre à mes ancêtres, mêlant recherches généalogiques et historiques pour retracer la vie de ces paysans dont je suis fier de dire qu’ils sont mes aïeux, à avoir hérité de leur farouche volonté d’avancer, coûte que coûte, dans la vie, sans trop se poser de questions, à faire confiance au ciel qui, un jour, finira bien par ne pas vous tomber dessus. J’ai exploré ainsi de nombreuses branches de mon arbre, y incluant les cousins, et c’est en travaillant sur les ancêtres d’une cousine que je suis tombé sur une bien étrange histoire. Celle de Pierre-Paul Just, déposé dans le tour d’abandon d’Embrun, le 13 mars 1832. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était un tour d’abandon. Alors j’ai cherché. La littérature sur le sujet ne manque pas, tant ce phénomène intrigue les chercheurs depuis toujours. J’ai donc avalé des tonnes de thèses, d’articles, d’époque ou contemporains, lu des témoignages poignants de ces enfants abandonnés, de ces orphelins privés d’avenir, et je n’ai pas fait qu’y trouver une matière romanesque. J’y ai conçu la trame d’une histoire en me posant une unique question : «Qui était sa mère et comment ce bébé avait-il pu atterrir là?» C’est là qu’est née Madelaine.

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