Le messager de la mort
Le meneur. « Un homme, un portefaix, traversait à pied les provinces, portant sur son dos une hotte où s’ouvrait une boîte matelassée qui pouvait contenir trois nouveau-nés. À travers la poussière, la boue, le soleil des grandes routes, le branle-bas des auberges, il cheminait paisiblement. Les enfants, debout dans la boîte, aspiraient l’air par le haut. De temps en temps, l’homme s’arrêtait pour prendre ses repas et faire sucer un peu de lait à ses compagnons. Quand il ouvrait le coffre, il en trouvait presque toujours un de mort. Sans plus de souci, il jetait le cadavre et rebouchant le vide qu’il laissait, achevait tranquillement son voyage avec le reste du ballot. À son arrivée, on lui délivrait un reçu de la marchandise. Il ne répondait pas des avaries. » Voilà comment l’on décrit ces meneurs qui font commerce de déposer des enfants dans les Hospices. Ce n’est guère engageant, et parfois même bien pire.Il en est qui n’hésitent pas à faire leur publicité, à l’image d’un Daumas de Reynier (ce nom, vous le trouverez porté par mon meneur à moi, d’une tout autre trempe que ces mercenaires), qui se vantait de livrer contre 60 francs un enfant des Alpes de Haute-Provence à l’Hospice de Gap en toute discrétion. Arrêté et condamné à quatre mois de prison en 1844 par le tribunal de Gap, le sinistre individu, dépourvu de toute empathie, se vantait de nourrir les nourrissons qu’on lui confiait de quelques gouttes de vin. « Après tout, se justifiait-il devant le tribunal, le vin jouit de vertus assez fortes pour nous tenir en bonne santé, alors pourquoi ne pas en donner à ces chiures. Ce qui est assez bon pour nous doit l’être pour eux ! »
Outre ces marchands de morts, les deux tiers des bébés qu’on leur confiait décédant avant que d’arriver, il existait une autre sorte de meneurs, rémunérés, eux, par les Hospices pour mener les abandonnés à leur nourrice ou les faire revenir dans l’institution après leur sevrage. Le voyage se faisait dans des charrettes à ciel ouvert et sans ressort, les enfants y étant entassés pêle-mêle, un grand nombre mourant pendant le transport, long et inconfortable, quand ils ne tombaient pas sous les roues pour être jetés sur le bord du chemin sans plus de cérémonie…
Par chance, mon petit Marcellin sera mis entre les mains de Daumas, un brave homme, orphelin lui-même, abandonné à la naissance, mais recueilli par un meneur qui, ne pouvant avoir d’enfant, avait choisi d’élever celui-là comme son propre fils. De là, sans doute, l’aimable caractère de celui qui va veiller sur le destin de mon gamin aux yeux verts. C’était de leur responsabilité de s’assurer de leur bonne santé et du bon traitement qu’ils recevaient. Mais bien peu s’en préoccupaient. Daumas et sa compagne éborgnée, la Toinette, sont de ceux-là.

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