Ecrire, ce plaisir égoïste...
Quel soulagement ! Au final, je suis ravi que l’éditeur ait rejeté mon premier manuscrit, cette Vie à contretemps qui porte si bien son nom, maintenant que j’y pense. Comme la prémonition que, là encore, je n’allais pas faire comme tout le monde, à rester dans mon coin parce que j’aime trop ma liberté pour m’encombrer d’une ombre tutélaire. Après tout, j’écris pour moi. Très égoïstement. Et ça a toujours été le cas, toute ma vie de journaliste. Je me souviens avoir dit, alors que je lançais le magazine Gazoline : « Je serai heureux si je parviens à captiver un seul lecteur ! » Bon, je poussais le bouchon très loin, parce qu’à ce tarif, je pouvais mettre la clé sous la porte. Pourtant, c’est, je le sais aujourd’hui, ce qui a fait le succès du magazine, cette exigence (parce qu’il en fallait pour être aussi prétentieux), ce ton si décalé et cette proximité avec le lecteur qui ont, depuis, disparu. Le journal fait désormais partie d’un groupe qui a une tout autre manière de voir les choses, et je le comprends tout en le regrettant. Voyez-vous, je crois que j’ai toujours cherché à d’abord me faire plaisir en matière d’écriture, parce qu’en lecteur compulsif, je suis amoureux des mots et de la musicalité des phrases, et parce que je n’aime rien tant que les histoires et les partager. Que ça plaise ensuite, c’est la cerise sur le gâteau qui encourage à poursuivre. Entre les mains d’un éditeur, j’aurais sans doute accepté des compromis, retravaillé mes textes, taillé dedans ou ajouté des éléments qui les auraient peut-être enrichis, allez savoir. Un peu comme Charli et mes petits-enfants qui ont poussé à la rédaction d’un nouveau chapitre sur mon Souffle du pendu. Mais ce que j’accepte d’eux et de mes amis, je ne suis pas certain d’être capable de le faire avec un inconnu penché sur mon épaule, aussi bienveillant soit-il. Je suis loin d’un Nicolas Mathieu qui s’est réjoui d’avoir quasi intégralement réécrit son deuxième roman, Leurs enfants après eux, y gagnant le Goncourt et la reconnaissance de ses pairs. Je me sens plus proche, sans prétention, d’un Frédéric Dard ou d’un G.-J. Arnaud, qui s’empressaient de glisser leur manuscrit dans une enveloppe, sans même le relire, de peur de s’auto-infliger des corrections. Une fois le mot « fin » écrit, je tourne la page et je me coule dans les vêtements d’autres personnages pour visiter de nouveaux lieux et me raconter des histoires dont je ne sais pas toujours où elles vont me mener. Il m’aura fallu trente-cinq années pour le comprendre, mais, depuis, chaque seconde, je profite de cette formidable liberté...

Commentaires
Enregistrer un commentaire